Tendances confirmées
L’histoire des marchés des capitaux révèle généralement un changement de leadership d’une décennie à l’autre, sous l’effet d’événements économiques et politiques qui façonnent la hiérarchie des performances des classes d’actifs. Il est donc essentiel de réévaluer périodiquement les forces gravitationnelles du système qui se traduisent par des tendances structurelles, en gardant à l’esprit qu’il faut généralement quelques années pour que celles-ci se manifestent. Le début des années 2020 a été marqué par deux chocs externes majeurs: la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine. Ces événements ont entraîné des disruptions dans les chaînes d’approvisionnement avec des conséquences significatives sur les économies occidentales et ont brouillé la frontière entre les effets cycliques et les changements structurels. En 2024, nous avons assisté à la normalisation de nombreuses variables économiques, notamment l’inflation et la croissance, ouvrant la voie à un assouplissement de la politique monétaire aux États-Unis et en Europe. Après mûre réflexion, nous avons conclu que les tendances séculaires que nous avions projetées à la fin de l’année 2023 se confirment.
Les actifs américains et hors système sont en tête
Le monde restera multipolaire en 2025 et les politiques industrielles et budgétaires actives continueront à orienter les économies dans un contexte de «reshoring» stratégique, comme en témoignent les vastes programmes de dépenses publiques qui se multiplient aux États-Unis, en Europe et en Chine. Cette dernière a atteint le point où le gouvernement est prêt à intervenir pour contrer les forces déflationnistes qui affectent son secteur privé, mais l’épargne élevée et la faible demande intérieure pourraient persister, ce qui maintiendrait le pays dans une récession des bilans pour le reste de la décennie. Le supercycle d’innovation reste d’actualité, avec un élargissement des secteurs qui bénéficieront des progrès de l’intelligence artificielle (IA). Enfin, les meilleures performances depuis le début de la décennie restent attribuables aux actifs américains et aux actifs dits hors système (c’est-à-dire l’or et les actifs numériques), qui se caractérisent par une offre limitée et sont protégés d’éventuelles sanctions occidentales.
Les actions demeurent notre classe d’actifs préférée
Les valorisations actuelles du marché reflètent un contexte macroéconomique bénin pour la plupart des classes d’actifs. Nous considérons l’investissement comme un exercice relatif et nous nous concentrons donc sur des mesures de valorisation relatives plutôt qu’absolues. Du point de vue du rendement, les actions américaines sont aujourd’hui les moins attrayantes par rapport aux bons du Trésor américain à long terme depuis la crise financière mondiale. L’avantage du rendement des flux de trésorerie disponibles des actions américaines à grande capitalisation par rapport au rendement des bons du Trésor américain à 10 ans a disparu. Cependant, à terme, la course relative entre les deux classes d’actifs dépendra largement de l’inflation future. Le risque de chocs d’offre est structurellement plus élevé dans un monde multipolaire où le dividende de la paix s’est transformé en impôt de conflit. Par conséquent, nous prévoyons que l’inflation américaine s’établira à une moyenne plus élevée de 3% au lieu de 2% au cours de la décennie, associée à une plus grande volatilité autour de ce niveau. Ainsi, même si les obligations d’État peuvent sembler attrayantes a priori, les actions restent notre classe d’actifs préférée d’un point de vue stratégique, conformément à notre conviction fondamentale selon laquelle les actifs réels devraient surperformer les créances nominales dans un tel contexte – comme ils l’ont fait jusqu’à présent au cours de la décennie.
La succession de cycles séculaires de surperformance et de sous-performance des États-Unis est un élément central de l’histoire des marchés financiers de l’après-Seconde Guerre mondiale. Les marchés haussiers séculaires américains ont été soutenus par des cycles d’innovation technologique majeurs, tels que l’ordinateur personnel et l’Internet de 1982 à 2000. Depuis 2009, les États-Unis connaissent un autre marché haussier séculaire, initialement propulsé par les smartphones et leurs écosystèmes, et plus récemment par les applications soutenues par l’IA générative, en particulier les grands modèles de langage (les «LLMs»), ouvrant la voie à une prolongation de la tendance haussière séculaire primaire des actions américaines à grande capitalisation.
Jusqu’en 2024, les principales valeurs des technologies de l’information américaines, avec leur rendement sur capital investi historiquement inégalé et leur flux de trésorerie disponible record, ont été chroniquement sous-évaluées, car les investisseurs ne croyaient pas à la durabilité de leurs flux de trésorerie disponible. Ce n’est plus le cas, et aujourd’hui l’évaluation des grandes plateformes numériques reflète la perspective d’une poursuite des tendances historiques de croissance et de génération de liquidités. Le passage d’un cycle technologique à un cycle des matières premières, et donc d’un cycle haussier américain séculaire à un cycle baissier américain, s’accompagne généralement d’une récession aux États-Unis (1974, 1983, 2001, 2008). Jusqu’à ce qu’une telle récession se matérialise, il est probable que les tendances en vigueur depuis 2009 se poursuivront, bien qu’avec une amplitude réduite en raison des niveaux de valorisation absolus actuels.